7.6.07

La légende rose de la Sécurité sociale française (première partie)

Petite étude que j'ai réalisée à la demande d'Alternative Libérale. A utiliser librement et sans modération par qui que ce soit que cela intéresse.

La légende rose de la Sécurité sociale française.

Les Français sont persuadés d’avoir le meilleur modèle social au monde. C’est une véritable « légende rose » qui s’est construite autour de la Sécurité sociale française, et particulièrement autour de l’assurance maladie, ce système « que le monde entier nous envie », paraît-il. Cette légende est même exportée à l’étranger, et trouve des thuriféraires parmi des activistes de gauche américains tels que Michael Moore, qui citent en exemple les systèmes européens (particulièrement le système français) pour mieux critiquer celui de leur propre pays.

Cependant, quand on examine de près les mythes sur lesquels repose la légende de la Sécurité sociale française, on trouve une réalité bien moins reluisante…


Mythe 1 : la Sécurité sociale est un acquis social plébiscité par tous les Français.


La réalité : instaurée de façon autoritaire en octobre 1945 sous l’influence du parti communiste et des syndicats, destinée à remplacer les assurances sociales privées qui existaient auparavant (dont un certain nombre seront nationalisées), étendue progressivement à presque toute la population, elle n’a jamais été confirmée par le suffrage universel. Ce n’est donc en rien un « acquis social », et elle n’a jamais été plébiscitée par quiconque.


On peut parler en ce qui concerne la Sécurité sociale de « coup d’état », car les ordonnances de 1945 relèvent du non-droit (en mai 1946, la proposition de Constitution de la IVe République est rejetée par référendum ; il y a un « trou » constitutionnel sur la période 1945 - 1946). Un précédent avait été créé en 1941, par le régime de Pétain, qui détourne alors les provisions des assurances sociales vieillesse pour les donner aux "vieux travailleurs" : c'est l'origine des retraites par répartition, autre problème critique aujourd’hui.


Mythe 2 : la Sécurité sociale, c’est l’Etat.

La réalité : l’organisation de la Sécurité sociale est par construction indépendante de l’Etat. Le code de la Sécurité sociale est juxtaposé à la Constitution. Les Caisses, l’URSSAF sont de droit privé (comme des mutuelles qu’elles sont en réalité), avec mission de « service public ».


Il n’y a pas en France d’assurance maladie étatique comme dans certains pays. Une assurance maladie étatique aurait au moins l’avantage de fournir une couverture minimale dont les coûts seraient maîtrisés, tout en laissant par ailleurs le mutualisme et l’assurance privée se développer librement et couvrir la grande majorité des personnes.


Cependant, on peut parler d’étatisation rampante de l’assurance maladie durant ces dernières années. L'exécutif des Caisses est désigné par le gouvernement, les comptes de la Sécurité Sociale sont formatés par le Ministère avant d’être présentés au Parlement (censé exercer un contrôle), et la fixation des taux de cotisation échappe aux partenaires sociaux. L’Etat fixe le prix des médicaments, la rémunération des médecins, leur numerus clausus, décide de l’agrément des cliniques privées…

Il y a par ailleurs un grand nombre d'organismes de nature juridique différente mais dits « de sécurité sociale » : on compte plus de 1000 organismes différents (les caisses à elles seules comptant plus de 100000 employés), et même un « musée de l’assurance maladie » et un « Comité d'Histoire de la Sécurité Sociale », sans parler des « Haut Conseil pour l'Avenir de l'Assurance Maladie », « Haute autorité de santé », etc.


Mythe 3 : grâce à la Sécurité sociale, le système de santé français est un des meilleurs au monde.


La réalité : le système de santé n’a rien à voir avec la Sécurité sociale, qui n’a jamais soigné personne, et qui se contente de « gérer » des flux monétaires, en prélevant les uns et en indemnisant les autres. Le progrès technique en matière de médecine n’est pas de son fait, pas davantage la compétence du personnel médical.


Le système de santé français n'est pas le meilleur du monde (voir le scandale du sang contaminé dans les années 80[1], ou la canicule de 2003[2]), mais s'il était aussi mal en point que la branche maladie, et aussi fossilisé que l’organisation de la Sécurité sociale, on pourrait légitimement s'inquiéter. Il y a heureusement un système de santé privé plus efficace et moins coûteux que le public[3]. Les médecins (autres que ceux de l’hôpital public) ne sont pas des fonctionnaires, bien qu’ils soient de plus en plus prisonniers (volontaires) des contraintes que leur impose l’organisation de la SS (depuis 1971 le « conventionnement » les oblige à pratiquer les tarifs SS), tout comme les « assurés » assujettis.


Le système de santé français, en partie libéral, est de plus en plus menacé dans son ensemble par la SS, « assureur public », qui n’a pas d’autre moyen pour essayer de contrôler les dépenses que de limiter l’offre de soins en imposant réglementation sur réglementation (dossier médical personnel, dispositif de médecin traitant, parcours de soins, plafonds pour les dépenses de santé, ticket modérateur, CSG, CRDS, etc.). On peut d’ailleurs noter que ces contraintes ne sont pas conformes à l’ordonnance du 19 octobre 1945, qui énonçait le principe selon lequel le patient aurait le libre choix absolu du praticien, les honoraires de ce dernier étant fixés par entente directe avec le médecin.


Mythe 4 : la Sécurité sociale assurance maladie est universelle : tout le monde y a droit.


La réalité : ceux qui ne cotisent pas n’ont droit à rien.


En pratique, soit les non-cotisants ont suffisamment de moyens (diplomates, rentiers, inactifs…) et peuvent se payer une assurance privée à un prix intéressant (bien moins cher que ce que paie un assujetti à la SS) ; soit ils sont trop pauvres et peuvent bénéficier (sous certaines conditions et pour un certain temps) de la CMU (couverture maladie universelle) instaurée en 2000.


Une particularité de l’assurance maladie française est celle d’étendre sa couverture à ceux qu’on appelle les « ayants droit » du cotisant (les enfants, le conjoint), qui en bénéficient sans devoir cotiser en contrepartie (ce qui n’est pas le cas avec les assurances privées). Ce système faussement généreux fait donc payer à la collectivité les choix personnels des couples (j’ai le "droit" d'avoir des enfants, et la société "doit" s'occuper d'eux). Il explique une partie du déficit (pour un seul cotisant, il peut y avoir un grand nombre d’ayants droit).


Mythe 5 : cotiser est une façon de faire preuve de solidarité, cela permet à ceux qui n’ont pas les moyens d’être quand même couverts, grâce à la CMU.


La réalité : la CMU n’est pas prélevée sur les cotisations sociales.


Sans entrer dans une polémique sur la « solidarité obligatoire » (peut-on parler dans ce cas de la solidarité, où est l’aspect moral ?), il faut signaler que la CMU ne relève pas des cotisations sociales, mais de l’impôt. Cotiser ne vous rend donc pas « solidaire » envers les plus pauvres. La CMU, d’invention récente, est comparable aux systèmes américains Medicare et Medicaid, plus anciens.


Mythe 6 : la Sécurité sociale a permis à une large population de se soigner.


La réalité : cette affirmation est une pétition de principe qui fait fi de la réalité historique.


Historiquement, les médecins ont toujours soigné même ceux qui n’avaient pas de ressources pour payer leurs honoraires. Le serment d’Hippocrate le prévoit : « je donnerai mes soins à l'indigent et à quiconque me les demandera ». Dans le passé, il n’y avait pas de tarif conventionné : les médecins adaptaient leurs honoraires aux moyens de leur patient, ils pratiquaient ainsi une solidarité directe au niveau le plus proche du terrain. Vous pouvez relire tout Zola, vous ne trouverez pas d’exemple d’un médecin qui ait refusé des soins à un malade sous prétexte que celui-ci ne pouvait pas payer.


Mythe 7 : la Sécurité sociale (assurance maladie) est gratuite.


La réalité : la gratuité n’a pas de prix, ou plutôt : elle coûte très cher !


Cette « gratuité » de l’assurance maladie coûte aujourd’hui plus de 13% du salaire complet (à comparer avec les 12% initiaux de 1945, pris sur le salaire complet, qui représentaient le total assurance maladie + assurance vieillesse + assurance accidents du travail). Notons que pour certaines catégories d’assurés privilégiés (fonctionnaires, salariés SNCF…) les cotisations sont plus basses.


Une assurance maladie privée offrirait les mêmes prestations pour beaucoup moins cher, même pour un smicard.


Le coût de l’assurance maladie pour un salarié (exemple pour un smicard, salaire arrondi par commodité à 1300€[4]) :


Versé par l’employeur

retenues

base

Taux

Salaire de base

1300


1300


CSG non imposable


66

1300[5]

5,10%

CSG


31

1300[6]

2,40%

CRDS


6

1300[7]

0,50%

Assurance maladie part salariale


10

1300

0,75%






Assurance maladie part patronale

166

166

1300

12,8%






Total retenues d’assurance maladie


279



Le salaire complet est autour de 2000€. La part prélevée pour l’assurance maladie en représente plus de 13%. Notez qu’on n’a pas tenu compte des cotisations d’assurance maladie complémentaire (mutuelle), versées également par l’employeur, qui augmenteraient encore le montant prélevé.


Le total des retenues dues à l’assurance maladie seule sur l’année serait de 279x12=3348€.


Or il y a des assurances santé qui coûtent 1300€ par an ! (cf la compagnie anglaise Amariz, pour des prestations équivalentes à la SS française, http://www.amariz.co.uk/fr/products.shtml).


Pour un cadre ou un travailleur indépendant qui gagnent bien leur vie, les cotisations prélevées au titre de l’assurance maladie représentent souvent de 10000 à 15000€ par an, alors qu’avec 3500€ ils pourraient avoir une assurance santé privée haut de gamme.



[1] Jusqu’en 1985, le Centre national de transfusion sanguine a sciemment distribué des produits sanguins, dont certains contaminés par le virus du sida à des hémophiles (2000 victimes contaminées).

[2] qui a surtout montré l’inefficacité de l’hôpital public : désorganisation des services, RTT, saturation des urgences…

[3] Voir « la guerre des coûts public-privé bat son plein » : http://www.ifrap.org/Sante/Enquete-guerre-des-couts.htm

[4] Smic mensuel brut en euros pour 151,67h de travail : 1254,28€ (http://www.insee.fr/fr/indicateur/smic.htm)

[5] La base est en fait un peu différente : 97% du salaire brut majoré des contributions patronales de retraite supplémentaire et de prévoyance complémentaire, puis diminué de 3% pour frais professionnels. Nous prenons un chiffre arrondi, la différence a peu d’influence sur le calcul. Voir « Taux et assiette des cotisations sociales » : http://www.net-iris.fr/indices-taux/4-taux-et-assiette-des-cotisations-sociales.php

[6] voir note 1

[7] voir note 1

5 commentaires:

Damien a dit...

Merci pour cette excellente analyse.
Bon courage pour la partie 2.

Une version PDF serez vraiment pratique pour diffuser plus largement.

Bonne continuation

privat a dit...

Désolé mais je ne vois pas pourquoi les renvois 6 et 7 se référent à la note 1?

Laure Allibert a dit...

Exact, c'est "voir note 5" qu'il faut comprendre.

Anonyme a dit...

Intéressant ...
Ceci dit, je ne comprends pas comment tu arrives à cette somme de 1300 euros. Amariz propose différentes assurances mais aucune à ce prix (il me semble qu'elles sont au dessus de ce prix).

Laure Allibert a dit...

on rajoute l'assurance hospitalisation, on arrive à un total de 3000 euros. Dans l'article sur Agoravox, j'ai rectifié ça.